Xavier Hufkens présente l'exposition inaugurale à la galerie de l’artiste abstrait italien Giorgio Griffa
Xavier Hufkens présente Luce buio, l'exposition inaugurale à la galerie consacrée à l’œuvre de l’artiste abstrait italien Giorgio Griffa (né en 1936 à Turin). Depuis ses premières peintures linéaires du milieu des années 1960 jusqu’aux œuvres récentes de 2022, cette présentation met en lumière la carrière de l’artiste, riche de cinq décennies, et souligne les évolutions et les constantes d’une œuvre aussi éclectique que poétique.
Giorgio Griffa est principalement connu pour ses toiles clouées directement au mur - non préparées (sans primer), non encadrées et non tendues - dont la majorité sont exécutées avec une palette lumineuse de couleurs désaturées. Les toiles sont pliées lorsqu’elles ne sont pas exposées, ce qui crée des plis visibles qui deviennent une partie essentielle de l’œuvre. Bien qu’au premier regard il soit difficile de différencier les peintures d’il y a cinquante ans de celles réalisées récemment, une étude plus approfondie de son œuvre révèle l’existence de onze cycles majeurs, allant de la série des Segni primari [marques primaires] de 1967 aux dernières peintures Dilemma. Chaque corpus a une date de début, mais pas de fin. En outre, certaines œuvres appartiennent à plusieurs cycles, car différentes trajectoires créatives se croisent et se fondent les unes dans les autres. Comme l’affirme l’artiste lui-même, les cycles coexistent côte à côte, n’étant ni des étapes de progrès ni des régressions, mais simplement des variations continues du “devenir”. Ce dernier mot est crucial pour comprendre l’œuvre, car les séquences de lignes, de motifs, de lettres et de chiffres de Griffa ne sont pas seulement universelles mais aussi ouvertes. Chaque œuvre contient un élément qui pourrait, en principe, être poursuivi indéfiniment. Une fois que le modèle est établi, pour ainsi dire, nous nous attendons visuellement et mentalement à ce qu’il se poursuive. Lorsque ce n’est pas le cas - et il y a toujours un moment où une ligne, une phrase ou un motif semble s’arrêter arbitrairement - nous anticipons son prolongement, complétant presque la séquence dans notre esprit. D’un point de vue linguistique, c’est comme s’arrêter au milieu d’une phrase, laissant l’interlocuteur (dans ce cas, le regardeur) reprendre le fil de sa pensée. Cela rend les espaces vides dans les œuvres aussi importants que les éléments graphiques eux-mêmes. Ce que nous voyons dans les toiles de Griffa est analogue à de petits extraits de modèles potentiellement infinis, tout comme l’ici et maintenant n’est qu’un point de jonction dans un continuum bien plus grand.
Giorgio Griffa est à la fois peintre et avocat. Jusqu’à ce qu’il arrête sa fonction d’avocat, il s’est consacré à ses deux professions, une combinaison qui nous ramène à l’idéal de la Renaissance de la “connaissance universelle”. Les sept arts libéraux, qui se divisent en deux catégories : les arts du verbe (grammaire, logique et rhétorique ; le trivium) et les arts du nombre (arithmétique, musique, astronomie et géométrie ; le quadrivium), y sont liés. En tant que mécanismes profondément interconnectés permettant de comprendre la nature et l’humanité, et en tant que moyens de changement et de renouvellement, ces disciplines étaient considérées comme les composantes d’un seul et même “art” global : le fondement de tout apprentissage. Ce lien, autrefois indivisible, entre le domaine des mots et celui des chiffres, est un leitmotiv qui traverse les différents cycles de l’œuvre de Griffa, comme en témoignent les différents corpus d’œuvres représentant des lettres, des phrases et des citations, ainsi que ceux qui s’écartent des principes numériques, de la suite de Fibonacci ou du nombre d’or, également connu sous le nom de “nombre irrationnel”. La clé de la traduction des idées qui jaillissent de ces sources d’inspiration, et d’innombrables autres points de départ musicaux, historiques et philosophiques, anciens et modernes, est le langage visuel simple et caractéristique de Griffa, qui fait appel à des signes archétypaux : lettres, chiffres et lignes. Rien de plus, rien de moins. Griffa ne peint donc pas ce qu’il voit, mais ce qu’il pense ou, plus précisément, ce qu’il sait. Comme il l’a dit lui-même : “Je ne représente rien, je peins”. Cet acte de peindre - en utilisant la plus légère des touches et des pigments acryliques ultra-fluides - est donc un moyen de transmission, une manière d’articuler une vision du monde profondément humaniste qu’il relie à tous les autres domaines de la connaissance. En réunissant deux passages des Quatre Quatuors de T. S. Eliot, que Griffa admire depuis longtemps, on s’approche des idées incarnées dans son œuvre : “ Car le modèle est nouveau à chaque instant / Et chaque instant est une nouvelle et choquante / Évaluation de tout ce que nous avons été [...] Et donc chaque entreprise / Est un nouveau départ. “
Giorgio Griffa (né en 1937 à Turin, vit et travaille à Turin) devient avocat de profession après avoir obtenu une licence de droit en 1958. De 1960 à 1963, il apprend à peindre en qualité d’assistant du peintre italien Filippo Scroppo (1910-1993). Malgré des associations précoces avec des mouvements tels que l’Arte Povera, la pittura analitica [peinture fondamentale] et le Minimalisme, son travail situé en dehors des courants dominants de l’art contemporain. Giorgio Griffa a participé à d’importantes expositions internationales telles que Prospekt, Düsseldorf (1969 et 1974) et la Biennale de Venise (1978, 1980 et en 2017) ainsi que Processes of Visualized Thought : Jeunes avant-gardes italiennes, Kunstmuseum Luzern (1970) et A Painting Exhibition of Painters who Place Painting in Question, organisée par Michel Claura, Stadtische Museum, Mönchengladbach (1973). Parmi les présentations solo récentes des œuvres de Giorgio Griffa, citons Uno and Due, Galleria Civica d’Art Moderna e Contemporanea, Turin (2002), Neuer Kunstverein, Aschaffenburg (2005), MACRO, Museo d’Arte Contemporanea, Rome (2011), Golden Ratio, Mies van der Rohe Haus, Berlin (2013) ; A Continuous Becoming, Camden Art Centre, Londres (2018) ; Tutti i pensieri di tutti, Palazzo Collicola, Spoleto (2020-21) ; Marvels of the Unknown, LaM - Lille Métropole Musée d’art moderne, Villeneuve-d’Ascq (2021) ; La Recherche, Centre Pompidou (2022).
Giorgio Griffa
Luce buio
23 septembre — 5 november 2022
Xavier Hufkens
44 Rue Van Eyck,
1050 Bruxelles
