Xavier Hufkens présente une exposition de l’artiste américaine Katherine Bernhardt

La visite d’une exposition de Bernhardt est une expérience immersive : un univers kaléidoscopique de couleurs électriques proches de la peinture de taches, qui peuvent représenter des personnages de dessins animés autant que des biens de consommation identifiables. L’exposition est centrée sur un ‘tableau de motifs’ monumental de 3 mètres sur 6, intitulé Garfield on Scotch Tape (2018), tandis que d’autres œuvres affichent d’énormes chaussures Nike hautes en couleurs et divers autres éléments de la culture de rue new-yorkaise du XXIe siècle et du monde global d’Instagram.

Pour Bernhardt, plonger dans l’histoire et en ressortir est un jeu d’enfant : le ruban adhésif Scotch Tape appartient à l’équipement des bureaux depuis 1930, et Babar l’éléphant est apparu l’année suivante. La Panthère rose a fait irruption sur les écrans en 1964, l’année même de la fondation de Nike. Garfield est une icône de la fin des années 1970 et du début des années 1980. Bernhardt peint souvent certains objets et icônes en raison de leurs couleurs et de leurs formes intrigantes, mais, à force de mélanger les époques, ses souvenirs de notre passé visuel collectif ressemblent à des collages. D’autres motifs, comme les toucans et les fruits tropicaux, font allusion à la beauté de la nature, tout en offrant à l’artiste l’occasion d’étudier des formes insolites et d’explorer un large spectre de couleurs. Bernhardt revisite ces produits ‘plus grands que nature’ et, grâce à ses combinaisons de couleurs chaudes, ils semblent plus ‘vivants’ que jamais.

Bernhardt combine ces motifs dans des compositions spontanées et visuellement saisissantes, rayonnantes de joie de vivre. Mais, si familiers que nous soient ces objets ou ces dessins animés, leurs messages restent ambigus et ouverts à l’interprétation. En ce sens, les œuvres de Bernhardt s’apparentent à des énigmes visuelles codifiées. Parfois, elle mélange l’adorable (un chat Garfield potelé) au détestable (cigarettes et malbouffe). Dans un autre exemple, elle utilise les Nikes comme une référence contemporaine à la liberté d’expression et à la justice raciale (à travers les protestations du joueur de football américain Colin Kaepernick lors des matchs de la National Football League, qui lui ont valu la vedette dans les campagnes publicitaires de Nike, et le mouvement Black Lives Matter ou BLM, né dans la ville natale de Bernhardt, Saint-Louis dans le Missouri). ​

Les ‘tableaux de motifs’ pleins d’énergie de Bernhardt découlent de ses affinités avec le Maroc et notamment de son intérêt pour les tapis berbères, constellés de symboles en rapport avec les femmes berbères qui les ont tissés sur des métiers manuels, dans le massif de l’Atlas, depuis l’époque paléolithique. Les tissus wax néerlandais basés sur des ​ imprimés africains sont une autre de ses sources d’inspiration. Imités de motifs africains mais fabriqués aux Pays-Bas depuis le XIXe siècle, ces tissus ont d’abord été expédiés en Afrique par bateau, mais, à l’heure actuelle, ils sont essentiellement produits dans des filatures locales d’Afrique occidentale. Comme les tapis berbères, les tissus africains sont rehaussés de motifs répétitifs illustrant des allégories de la vie quotidienne : personnages politiques, paysages locaux et thèmes religieux. Aujourd’hui, des tissus produits à plus grande échelle sont imprimés de bâtons de rouge à lèvres, ventilateurs électriques et consoles de jeux. Fascinée par les motifs des tapis et des wax, qui peuvent être ‘lus’ comme des tableaux, Bernhardt choisit pour ses propres toiles un répertoire d’éléments symbolisant la vie et la culture urbaines contemporaines, iconographie de notre époque. ​

Katherine Bernhardt
Garfield on Scotch Tape
22 février - 6 avril 2019
Xavier Hufkens

Katherine Bernhardt, Green Suit One, 2019. Acrylic and spray paint on canvas, ​
198,1 x 182,9 cm. Photo-credit: Jason Mandella. Courtesy: the Artist and Xavier Hufkens, Brussels
Katherine Bernhardt, Green Suit One, 2019. Acrylic and spray paint on canvas, ​
198,1 x 182,9 cm. Photo-credit: Jason Mandella. Courtesy: the Artist and Xavier Hufkens, Brussels

Parallèlement, elle isole les chaussures en tant qu’objets inanimés, les proposant du même coup comme un nouveau thème pour le genre traditionnel de la nature morte. Les Nikes peuvent aussi représenter directement New York City, car elles sont tout ce que les gens voient dans le métro, jour après jour, à part leurs titres de transport. Les Nikes et autres icônes se fondent littéralement les unes dans les autres grâce aux coulures de peinture, dont la fluidité témoigne d’influences comme Morris Louis, le célèbre peintre de taches. ​

Mais quel est le rapport entre Babar, le ‘roi des éléphants’, et le logo de Nike ? Cette combinaison improbable oblige le spectateur à se muer en amateur actif, dans un effort pour dégager et interpréter une signification, à moins qu’il ne se contente d’apprécier l’œuvre en termes de forme et de couleur. D’aucuns pourraient voir une allusion à Babar dans l’incontournable Nike Air Max 1 Atmos, avec un imprimé éléphant et un éclair vert, dont la nuance est assortie à son costume. À quoi Bernhardt pourrait répliquer que Babar est irrésistible en vert, une couleur qui est familière à l’artiste grâce aux innombrables carreaux et accents verts d’un de ses points de chute favoris à Marrakech, Le Jardin. De même, certains pourraient considérer les rouleaux de Scotch Tape et les cigarettes comme un calembour visuel sur la combinaison attrayante mais dangereuse du whisky et des cigarettes – Bernhardt étant susceptible de répondre en toute simplicité que les lignes se recoupent harmonieusement et ‘fonctionnent’.

Mais, de toutes ces images, la plus chargée est peut-être le monumental Garfield on Scotch Tape (2018), où l’inénarrable chat semble s’être régalé, pour le meilleur et pour le pire, de toutes les gâteries savoureuses qui l’entourent. Est-ce une simple coïncidence si le logo Nike est gravé sur son ventre distendu (quelque chose que Bernhardt a également ‘marqué’ sur elle-même) ? 

Katherine Bernhardt, Nike + Metrocards, 2018. Acrylic and spray paint on canvas, 218,4 x 304,8 cm. Photo-credit: Jason Mandella. Courtesy: the Artist and Xavier Hufkens, Brussels
Katherine Bernhardt, Nike + Metrocards, 2018. Acrylic and spray paint on canvas, 218,4 x 304,8 cm. Photo-credit: Jason Mandella. Courtesy: the Artist and Xavier Hufkens, Brussels

 

 

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