Xavier Hufkens à Bruxelles présente une exposition de grande envergure de Mark Manders

Pour sa première exposition avec la galerie Xavier Hufkens, Mark Manders approfondit son projet fondateur Self-Portrait as a Building en ouvrant de nouvelles pièces au sein de la galerie. Des installations évocatives des espaces domestiques, une salle de bain, une chambre et un atelier, y côtoient des bronzes peints, monumentaux ou plus intimes, des sculptures aux techniques mixtes, du mobilier mais aussi des œuvres bidimensionnelles. Cette grande exposition réunissant les multiples facettes de sa pratique, dévoile la profondeur et l’étendue de son oeuvre.

Manders a passé près quarante ans à la construction de cet Self-Portrait as a Building. Il y explore la notion d’identité construite, imaginant l’esprit humain comme une structure physique, analogue à une maison ou à un bâtiment. Chaque “pièce” de ce bâtiment imaginaire — transposée dans l’espace de la galerie — représente un aspect de sa personnalité ou une expérience autobiographique. Il est crucial de souligner ici qu’il existe deux Mark Manders : la personne, et le personnage fictif qu’il a crée. Le bâtiment lui, reste toujours inachevé, sans fin ni limite. Ses pièces sont meublées d’une multitude d’objets minutieusement façonnés par l’artiste, chaque œuvre étant unique. On y trouve une abondance d’échos à ses œuvres antérieures, tandis que certains éléments réapparaissent eux d’une pièce à l’autre, formant un réseau de références liées à travers le temps et l’espace.

L’exposition s’ouvre sur un paysage : Bonewhite Clay Head with Vertical Cloud (2024) et Figure with Two Cloud Paintings (2010-2024) évoquant toutes deux le ciel. La structure en bois de cette dernière œuvre est à la fois familière et difficile à situer : elle laisse penser à un gibet ou une croix, sinon aux poutres apparentes d’une structure architecturale.

La figure, inspirée des kouros antiques — et qui rappelle Mind Study (2010-11, Biennale de Venise) — semble figée dans sa chute, sauvée par la corde, ou bien échappant à son emprise acérée. La tension est palpable et tout est dans un parfait équilibre. Les deux toiles elles, sont blanches comme des nuages; avec leurs teintes neutres, elles confèrent à la sculpture un caractère non défini : un moment figé, hors du temps et de l’espace. Rien ici n’est ce qu’il paraît, et Manders est maître de l’illusion : ceci n’est ni du bois ni de l’argile. L’artiste qui sculpte d’abord ces matériaux, utilise la technique de la cire perdue pour les couler en bronze, puis les peint à la main pour tromper le regard, rendant le métal inorganique indistinguable de l’organique (bois ou argile).

My Bed (1992-2024) trône dans le jardin qui fait face à la galerie. D’un côté, des maquettes architecturales et une collection d’objets — fragments d’une identité —, et de l’autre, un vide. L’absence est un thème récurrent dans l’œuvre de Manders, comme il l’explique lui-même : “Toutes les pièces semblent avoir été désertées... comme si la personne qui les a créées venait tout juste de partir. On y voit constamment quelqu’un en pleine réflexion ou interrompu dans son action. C’est presque comme entrer dans un décor qui vient d’être quitté. Figer le temps, et rendre visible un cheminement de pensée. Tout tourne autour de ce moment précis, alors que des décennies peuvent les séparer. Pourtant, tout semble avoir eu lieu à l’instant.” Ce travail fait écho à une installation similaire présentée par l’artiste à la maison Van Wassenhove en 2023. Des objets ressurgissent ici, comme la figure en argile, des livres ou un pot de pinceaux, seule la literie a disparu. Mis à nu, le lit révèle sa structure : le cadre est en bois, le matelas en toile. Ensemble, ils suggèrent une autre interprétation : l’œuvre comme une métaphore de la peinture.

Avec son éclairage au néon et sa composition architecturale, Perspective Study (2005-2024) présente les journaux imaginés par Manders pour sa Room With All Existing Words (2005-2022). Dans ce projet, l’artiste a conçu et imprimé dix journaux contenant chaque mot du dictionnaire Oxford, chacun apparaissant une seule fois de manière aléatoire, créant ainsi des colonnes de nonsens poétique. Ces journaux reviennent tout au long de l’exposition sous diverses formes, dans Figure with Thin White Rope (2005-2024) ou compressés dans Composition with All Existing Words / Perspective Study (2005-2023), présentée à proximité, pour n’en citer que deux.

Shadow Study (2023-2024) domine le jardin. Avec sa patine à l‘aspect ancien, l’oeuvre évoque une sculpture classique ou un artefact archéologique. Manders crée souvent des œuvres dans lesquelles des éléments en bois restreignent ou fractionnent la figure humaine. Ces dernières renvoient à la nature même de la mémoire : à la manière dont elle peut être lisible tout en étant fragmentée, bloquée et piégée, complète et pourtant incomplète.

Isolated Bathroom / Composition with Four Colours (2005-2023) se trouve au premier étage. Le sol en métal est un clin d’oeil à la sculpture minimaliste, tandis que la figure — dépourvue de membres — évoque à la fois la force (bois) et la vulnérabilité (argile). La juxtaposition est purement visuelle : il s’agit aussi d’un bronze peint. La figure renvoie à la Ramble Room Chair (2010), et les quatre couleurs — nouvelles dans l’œuvre — s’inspirent de la photographie réenactée et mise en scène Colour Study (2001- 2023). On retrouve ces teintes dans Table with Towels (1999-2023), tandis que la photo originale réapparaît elle dans Studio Table (2024).

Cette oeuvre, située au troisième étage, développe le thème du bureau comme creuset de la créativité. Le bureau est encombré des outils de l’artiste — dessins, photographies et livres — ainsi que d’objets du quotidien, tels que des dés et des morceaux de sucre. Ces éléments ne sont ni des objets trouvés ni des effets personnels : tout a été méticuleusement fabriqué par l’artiste pour répliquer les objets originaux. Dans l’atelier on trouve également des bronzes peints ressemblant à des artefacts anciens, y compris Falling Earring (2024), une œuvre qui matérialise un instant fugace : un anneau en argent tombant d’une oreille imaginaire.

Floor with Prime Movers (2005-2024), au sous-sol, met en scène le mobilier de l’artiste sur des dalles en acier qui, comme la salle de bain, évoquent le minimalisme. Chaque élément a été conçu et construit par l’artiste, comme un éventail d’objets destinés à meubler les pièces de son “auto-portrait” en constante expansion.

Le travail de Mark Manders reflète son exploration continue de l’identité, de la matérialité et de l’illusion, du langage et de la structure, mais aussi du temps. Si de nombreuses sculptures s’apparentes à des trouvailles archéologiques, d’autres font référence au modernisme et au design du XXe siècle : une dissonance qui nous transporte à travers les siècles. Ses œuvres peuvent être considérées comme des matérialisations spatiales de pensées, d’émotions et de sentiments intérieurs — parfois abstraits. Les références à l’histoire de l’art, les motifs récurrents et la reconfiguration d’œuvres antérieures contribuent tous à ce sentiment de continuité et de transformation perpétuelle qui traverse son œuvre.


Mark Manders (né en 1968 à Volkel, aux Pays-Bas) vit et travaille actuellement à Ronse, en Belgique. Il fera l’objet de deux expositions personnelles à venir : l’une à la Fondazione Sandretto Re Rebaudengo à Turin (31 octobre 2024 - mars 2025) et l’autre au Musée Voorlinden en 2025. Manders a représenté les Pays-Bas à la Biennale de Venise en 2013. Il a été commissionné en 2019 par le Public Art Fund pour la création d’une grande sculpture publique pour le Doris C. Freedman Plaza de Central Park, à New York. D’autres larges installations sculpturales en plein air sont exposées au Walker Art Center à Minneapolis et au Rokin Square à Amsterdam. Ses œuvres figurent dans de multiples collections publiques, notamment au Art Institute of Chicago, IL ; Carnegie Museum of Art, PA ; Kunsthaus Zürich ; Museum of Modern Art, NY ; Museum of Contemporary Art, LA ; Pinakothek der Moderne, Munich ; San Francisco Museum of Modern Art ; et au Walker Art Center, MN, entre autres.


Mark Manders
25 octobre - 21 décembre 2024
6 rue St-Georges, ​
1050 Bruxelles

www.xavierhufkens.com


 

 

 

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