Le Musée Dhondt-Dhaenens présente un projet de l’artiste brésilienne Cinthia Marcelle

Fence Mirage - 18 mai – 17 août 2025

 

Cinthia Marcelle (née en 1974 à Belo Horizonte) est l’une des artistes contemporaines les plus importantes du Brésil. Depuis la fin des années 1990, elle explore divers médiums — principalement la photographie, la vidéo et l’installation — tout en s’aventurant également dans la peinture, le collage, le dessin et la performance. Son travail interroge le statut et la signification des images et des objets, en intégrant souvent des sous-textes critiques et politiques dans des compositions marquées par une rigueur formelle et conceptuelle remarquable. Le langage artistique de Marcelle embrasse des éléments paradoxaux : ordre et chaos, accumulation et répartition, répétition et désordre, construction et déconstruction.

Bien que ses configurations évoquent certains mouvements artistiques du XXe siècle — abstraction, minimalisme, critique institutionnelle —, son travail reste profondément ancré dans la réalité et dans sa perception de celle-ci, notamment en tant qu’artiste vivant et travaillant au Brésil, et donc inscrite dans l’histoire du modernisme latino-américain, en miroir du colonialisme. En prenant en compte les dynamiques économiques et sociales entre les environnements naturels et urbains autour des lieux qu’elle investit, Marcelle développe ses pièces à partir d’interventions minimales, souvent réalisées avec des matériaux simples, locaux, porteurs de sens. Aussi concises qu’elles paraissent, ses œuvres synthétisent un processus plus large de recherche et de travail. Plutôt que de produire des objets au sens classique, Marcelle initie des situations ou stimule des actions collectives. Ses projets résonnent généralement avec les contextes dans lesquels ils s’inscrivent, y compris sa propre histoire artistique, envisagée comme un lieu en soi : elle revisite fréquemment des œuvres antérieures, générant au fil du temps de nouvelles répétitions.

Toujours marquée par une économie visuelle et une rigueur formelle, l’œuvre qu’elle présente au Museum Dhondt-Dhaenens constitue une expansion de Cerca Miragem (Fence Mirage, 2005), montrée pour la première fois lors de sa première exposition personnelle en 2005. Elle met en lumière la relation entre délimitation du territoire et contexte colonial. Car tout comme les frontières semblent invisibles dans un monde prétendument globalisé, les clôtures restent un problème historique latent — notamment en lien avec la position de l’artiste, originaire d’Amérique latine, occupant un espace d’exposition en Europe.

Fence Mirage – Version MDD se compose d’environ 680 piquets de clôture peints, avec des restes de terre à leurs extrémités, disposés selon un protocole spatial développé par l’artiste. L’installation s’intègre à l’architecture de la « petite galerie » du musée. Les piquets sont en bois de châtaignier, comme ceux utilisés pour clôturer les saules en Flandre. Ils ne sont pas présentés dans leur état fonctionnel, mais dans une condition ambiguë : tous sont retournés, ce qui suscite une série de questions. Leur fonction de délimitation est-elle devenue obsolète ? Ont-ils été récemment arrachés d’une frontière ? Vont-ils être réinstallés, et si oui, où, par qui ? Serviront-ils à délimiter un espace libre, au sens plein du terme ? Par leur agencement, les piquets portent en eux la capacité d’encercler, de définir, d’exclure, tout en remettant en cause l’opposition binaire entre intérieur et extérieur — une caractéristique fondamentale de l’institution muséale.

Alors que la version originale de 2005, avec seulement 22 piquets, permettait aux spectateurs de saisir l’échelle générale de la démarcation, cette itération étendue submerge le visiteur par sa quantité même, encadrant à la fois les corps et le musée. Elle renvoie ainsi au passé, en particulier à l’Amérique du Sud, où, avant la colonisation européenne, certaines sociétés indigènes maintenaient des systèmes sophistiqués de gestion des terres, sans frontières rigides. Plutôt que de considérer la terre comme une propriété exclusive, ces communautés développaient des systèmes complexes de droits saisonniers, d’accès partagé et d’obligations réciproques. Loin d’être des systèmes primitifs, il s’agissait de réalisations sociales conscientes, reflétant des philosophies politiques nuancées, centrées sur la liberté individuelle et la durabilité écologique. Elles créaient des zones d’usage chevauchantes avec des protocoles culturels élaborés permettant le partage des ressources tout en maintenant des identités sociales distinctes — en contraste frappant avec les concepts européens de propriété territoriale.

Dans la Belgique contemporaine, cela contraste avec le marché immobilier de luxe de Deurle et Sint-Martens-Latem, où est situé le MDD. Ces villages pittoresques le long de la Lys accueillent les terrains les plus chers du pays, où les prix atteignent des sommets. Leur patrimoine artistique, leurs paysages verdoyants et la proximité de Gand et Bruxelles ont transformé ces anciennes communautés rurales en enclaves exclusives. Ici, la terre fonctionne comme une marchandise et un symbole de statut social — précisément les conceptions rigides de la propriété que les sociétés indigènes ont souvent rejetées en faveur d’approches plus fluides et collectives. Partant de constats comme celui-ci, les anthropologues David Graeber et David Wengrow poseraient la question provocatrice : quel mode de vie est le plus « civilisé » ?

Si Cinthia Marcelle ne formule pas explicitement un discours historique ou idéologique, son installation suit des logiques similaires d’accumulation et de croissance adaptative. La version originale de Fence Mirage en 2005 reflétait ce que Marcelle, alors jeune artiste, pouvait se permettre. Au fil des années, l’œuvre s’est élargie, en fonction des contextes institutionnels et des ressources disponibles, comme lors de l’exposition au Marta Herford en 2023, où elle fut présentée avec 300 piquets. Fence Mirage – Version MDD peut être perçue comme un ruban de Möbius artistique — une forme autoréférentielle reflétant la nature cyclique des systèmes hégémoniques dans lesquels la vie se trouve prise au piège. Elle suggère toutefois aussi des voies d’émancipation, en phase avec la conviction de l’artiste dans le pouvoir libérateur de l’imagination. Une imagination non pas comme activité illusionniste et contemplative, mais comme un processus qui, tel qu’il est mis en œuvre dans l’œuvre elle-même, se double de la position du spectateur : traverser l’intérieur et l’extérieur de l’institution par un geste à la fois audacieux et élégant, pour générer de l’entropie. Pour Marcelle, c’est précisément dans cette couche au-delà de la contemplation que l’art peut jouer un rôle d’émancipation. Ce n’est qu’en transgressant l’imaginaire qu’il peut servir de modèle pour réinventer les structures dans lesquelles nous vivons.


Cinthia Marcelle
Fence Mirage
18.05.25—17.08.25

Museum Dhondt-Dhaenens
Museumlaan 14
9831 Deurle

Conservateur: Martin Germann

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Images

Cinthia Marcelle (*1974) vit et travaille à São Paulo, au Brésil. Elle a présenté des expositions d’envergure au Marta Herford Museum for Art (2023), au MACBA (2022), au MASP (2022) ; des expositions personnelles au Wattis Institute (2018), à Modern Art Oxford (2017), au MoMA PS1 (2016), et à la Secession (2014). Elle a participé à la 15e Biennale de Gwangju (2024), à la 10e Biennale de Berlin (2018), à la 12e Biennale de Sharjah (2015), à la Triennale du New Museum (2012), à la 13e Biennale d’Istanbul (2013), à la 29e Biennale de São Paulo (2010), à la 9e Biennale de Lyon (2007), et à la 9e Biennale de La Havane (2006). Elle a représenté le Pavillon brésilien à la 57e Biennale de Venise (2017) avec l’installation Chão de Caça et la vidéo Nau/Now, co-réalisée avec Tiago Mata Machado, recevant une mention honorable. Elle a été lauréate du Future Generation Art Prize (2010), du International Prize for Performance (2006) et de la Bolsa Pampulha (2003).

 

 

 

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